Isabelle Jobard – Plus grande juge-arbitre de l’histoire du badminton mondial
Vous l’avez peut-être croisé sur une compétition nationale, aperçu derrière une table de marque ou vu à la télévision. Plus grande juge-arbitre (JA) de l’histoire du badminton mondial, Isabelle Jobard revient pour nous sur son parcours hors norme, après près de 50 ans de carrière.
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Racontez-nous votre parcours. Comment avez-vous intégré le milieu du badminton ?
J'ai "rencontré" le Badminton au début des années 70 grâce à l'association sportive de mon université à Paris où, faute de pouvoir avoir accès à des terrains de tennis, on m'a proposé du badminton.
J'ai tout de suite été convaincue et lors d'entraînements, j'ai rencontré, Jean Brunet (futur Président de la FFBA) qui m'a fait rentrer dans le club où il jouait (le Racing Club de France). C'est à l'occasion du tournoi du Racing organisé à Issy-les-Moulineaux en 1974, que j'ai rejoint le club d'Issy qui cherchait des joueuses pour monter une équipe. En 2020, 46 ans plus tard, je suis maintenant la membre, de loin la plus ancienne du club auquel je suis restée fidèle !
Très vite, j'ai eu diverses activités. Il faut rappeler qu'à cette époque il y avait moins de 2 000 licenciés en France (alors que maintenant, on s'approche des 200 000 licenciés) et donc tout le monde se connaissait et s'occupait un peu de tout. C'était intéressant de participer au développement du badminton, qui s'est accéléré à partir de la création de la FFBA en 1979.
J'ai été à la fois membre du bureau du club, du comité départemental, de la ligue régionale et aussi du comité directeur de la Fédération à partir de 1980 et jusqu'en 2016, (avec une interruption entre 1996 et 2008, période où j'ai donné la priorité à mon activité de juge-arbitre internationale).
J'ai été aussi secrétaire générale pendant un mandat de 1988 à 1992. Au long des six mandats à la Fédération, j'ai été responsable, entre autres, des commissions des statuts, des règlements, de l'arbitrage.
C'était passionnant car il y avait au début tout à créer et à organiser. J'avais commencé à arbitrer en me formant sur le tas. J'ai ensuite mis en place progressivement les différents niveaux d'arbitrage et les formations correspondantes, en faisant appel au début à des amis arbitres anglais. Ensuite on s'est occupé à développer la filière « juge-arbitrage » et organisation des compétitions.
Comme joueuse, j'ai continué à faire des tournois pendant les années 80 (je jouais dans les trois disciplines, en série B).
Par ailleurs j'ai créé au sein de l'Ecole Polytechnique où je travaillais, la section badminton, que j'ai entraînée un temps, puisque j'avais également passé un diplôme d'entraineur en 1981 !
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Comment s'est passée l'ascension vers le plus haut niveau mondial de l’arbitrage ?
Dans les années 80, j'arbitrais dans les compétitions en Europe où j'accompagnais l'équipe de France parfois. Je profitais de l'expérience pour me former ou m'informer aussi sur le rôle du JA et sur l'organisation. Il m'est arrivé plusieurs fois, en arrivant comme arbitre sur un tournoi, d'être nommée JA car l'organisateur n'en avait pas trouvé ! Donc j'ai exercé les 2 fonctions pendant un temps, mais j'ai dû finalement choisir de me consacrer principalement au juge-arbitrage, tout en continuant à former les arbitres en France et à l'étranger.
En 1992 je suis devenue JA pour l'Europe et en 1996, pour la Fédération Internationale (à l'époque IFB).
Dès l'année suivante, j'ai été nommée à mon premier Championnat du Monde, à Glasgow. En 2004 la BWF m'a promue au grade de JA certifiée et j'ai eu la chance d'être désignée la même année pour les JO d'Athènes. Une autre étape importante a été bien sûr les JO de Pékin en 2008. J'ai continué jusqu'en 2015 à être JA de nombreuses compétitions de la BWF, dans beaucoup de pays à travers le monde et surtout en Asie.
En même temps, j'avais également les missions de formation et d'évaluation des JA pour leur accréditation ou leur certification. J'ai consacré beaucoup de temps à ce rôle ces dernières années parce que la BWF a décidé d'évaluer régulièrement tous ses JA, dans l'optique d'assurer le meilleur niveau et de préparer la professionnalisation de certains d'entre eux.
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Comment avez-vous fait pour cumuler votre vie professionnelle et votre activité dans le juge-arbitrage ?
C'était difficile, j'avais une vie professionnelle qui comprenait deux activités distinctes : l'une était contraignante (l'enseignement à l'université) mais ne concernait qu'un nombre limité de semaines dans l'année universitaire; quant à l'autre activité (la recherche) j'avais la chance d'être en pratique maître de l'organisation de mon temps et de mon travail. Ce qui m'ouvrait la possibilité de planifier mes déplacements à l'étranger quand c'était nécessaire pour des compétitions, des formations ou des réunions internationales. J'ai réussi à honorer presque toutes les nominations ou missions que j'ai eues, même si parfois cela a été très compliqué ! J'ai dû renoncer une fois à ma nomination comme JA ... au All-England ! C'était frustrant, mais l'occasion s'est heureusement représentée quelques années plus tard.
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Vous avez été JA sur toutes les grandes compétitions (deux fois aux J.O., aux Championnats du Monde, …). Avec le recul, que retenez-vous de votre carrière ?
Peut-être un peu de fierté, en particulier quand j'ai reçu l'année dernière à Kiev l'award de Badminton Europe pour l'ensemble de mon parcours. En tout cas, c'est beaucoup de satisfaction, de plaisir, et aussi de travail.
Je pense que tout le temps que j'ai pu consacrer à cette passion en valait largement la peine.
D'une part, j'ai eu la chance et le privilège de voyager dans environ 60 pays, et de rencontrer des personnes de cultures très différents qui partageaient le même intérêt pour le badminton. La richesse de tous mes voyages autour du monde m'a évidemment beaucoup apporté.
D'autre part, j'ai pu observer et participer au développement important du badminton en particulier grâce à l'entrée aux J.O. en 1992. Il s'est poursuivi depuis avec une médiatisation plus grande, une meilleure présentation, l'apport des nouvelles technologies, la professionnalisation, et de nombreuses évolutions positives.
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Vous pensez que l’accession vers le haut-niveau a été compliquée parce que vous êtes une femme ?
Ce n’est pas facile de répondre à cette question. C'est à la fois difficile d'être dans un milieu essentiellement masculin mais c'est aussi une chance de pouvoir faire évoluer les choses. Le problème de la féminisation dans le sport et dans l'arbitrage est complexe. Il a été pris progressivement plus au sérieux, aussi bien en France qu'au niveau international et plus particulièrement depuis une dizaine d'années à cause de la pression du CIO qui veut aller vers la parité. J'ai participé aux forums sur la féminisation et joué le rôle de mentor pour plusieurs femmes JA pour la BWF et j'ai aussi contribué à la commission féminine de Badminton Europe.
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Quel est votre rapport avec le tournoi d'Orléans ?
Je n'ai pas officié ici mais j'y ai assisté 2 fois ces dernières années : une fois comme observateur quand c’était tournoi Badminton Europe et la deuxième fois, pour superviser et évaluer les JA quand le tournoi est entré dans le circuit BWF.
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Votre carrière internationale est derrière vous, que faites-vous maintenant, et quel lien avez-vous gardé avec le badminton ?
J'ai maintenant arrêté presque toutes mes activités de badminton mais je réponds encore à quelques sollicitations de la BWF, comme récemment, pour expertiser le parquet, fabriqué par une société française, qui devrait être utilisé dans quelques mois aux Jeux Paralympiques de Tokyo. Je suis encore Déléguée Technique Badminton pour l'EUSA (Association Européenne du Sport Universitaire) qui organise les Jeux Universitaires Européens à Belgrade, où je me rendrai cet été. Il m'arrive encore d'être JA d'une rencontre d'Interclubs nationale, pour honorer les obligations de mon Club, et je suis toujours membre de la commission internationale de la FFBad.
Je suis aussi Vice-Présidente de l'Association Française du Corps Arbitral Multisport (AFCAM) qui a, entre autres, travaillé depuis longtemps pour créer l'équivalent au niveau international, c’est-à-dire une Fédération mondiale des arbitres de tous les sports et qui soit reconnue par le CIO. Je peux maintenant me réjouir de la naissance de l'IFSO (International Federation for Sport Officials) dont je suis très fière et qui contribuera, je l'espère, à une juste reconnaissance des arbitres et juges des compétitions internationales.
Le liens que je garde avec le badminton c'est surtout avec de nombreux amis que j'ai eu la chance de rencontrer à travers les cinq continents et avec qui j'ai partagé la passion pour ce sport pendant environ ... un demi-siècle !